Problématique de la biennale

Parce qu’il n’est plus dans l’air du temps de se demander s’il faut être pour ou contre la chanson (elle a désormais trop d’ampleur, trop de reconnaissance, trop de résonance pour qu’on cherche encore et toujours à la légitimer), nous voudrions nous demander comment la chanson sait être pour ou contre l’air du temps : comment elle se comporte face à l’événement, investi par les pressions, les passions de l’actualité. En profite-t-elle quitte à lier son sort à l’éphémère ? Réagit-elle au risque de surréagir à ces effractions dans la trame routinière de nos vies et prendre position sans attendre la décantation naturelle ? Prend-elle au contraire de la distance face au contemporain, face aux modes, face aux news, face aux émotions que provoque l’événement ? Lui faut-il rester humble, neutre, décalée ? Ambitieuse, audacieuse, révoltée ? Réagir, est-ce agir ? La chanson a certes conquis sa place dans les cœurs ; mais il n’est pas toujours sûr qu’elle ait véritablement conquis sa place dans la réflexion et l’action politiques, qu’elles soient individuelles ou collectives.

La chanson a-t-elle profondément marqué, comme on le pense souvent, les (r)évolutions sociales et accompagné les changements politiques de ces dernières décennies ? Dans une société volontiers ou illusoirement consensuelle, les chansons contestataires reçoivent-elles la même qualité d’écoute, ont-elles la même force de conviction ? Et n’y a-t-il d’engagement que dans la contingence ? que dans l’urgence ? On peut d’abord se tourner vers l’histoire du genre chanson. Décrire les continuités et les ruptures. Quelles sont les attentes des publics, quelles sont les marges de manœuvre autorisées par les sociétés, tous étant pris dans la spécificité de leur situation historique ? En quoi les Mazarinades du XVIIe siècle et les Goguettes du XIXe peuvent-elles s’inscrire dans une réflexion sur les rapports entre chanson et temps, musique et moment politique ? Qu’est-ce que les attentats de 2015 et 2016 ou l’épreuve du grand confinement nous enseignent à ce sujet ? Cette chanson qui réagit face à l’événement, nous voudrions la saisir dans sa dimension historique et contemporaine mais aussi dans ses débordements géoculturels et géolinguistiques, c’est-à-dire hors de ses frontières mais également hors des frontières.

Nous ne limitons pas, bien sûr, cet engagement à une seule forme de contestation portée par les paroles. Il y a des « engagements » qui se traduisent à travers de nombreuses conduites ou pratiques de la chanson : provoquer les bonnes mœurs sur scène, dé-chanter, proposer à l’Eurovision une langue rare, parodier musicalement la Marseillaise, déclamer qu’on chante « pour passer le temps », s’autoproduire, « jouer du piano debout » sont des gestes de rébellion, comme pourrait même l’être le fait de se désengager chez Brassens. Toutes les disciplines sont donc concernées par cette problématique puisqu’elle offre un terrain intéressant pour parler du timbre de la voix revendicative, de l’orchestration qui soutient la prise de position, de l’enregistrement avec ou sans moyens pour une réaction « à chaud » à l’actualité, des retentissements médiatiques qui peuvent avoir lieu sur le net et prouvent ou truquent une adhésion consciente, du soutien que la chanson sur le mode symphonie à distance a pu représenter pendant l’épisode du Covid-19...

Le texte chanté, la mélodie et le rythme qui le soutiennent, soulèvent l’enthousiasme collectif ou conduisent à la méditation, au ressourcement. L’attitude « pour » ou « contre » invite à décrire et interroger le nuancier de nos éthiques : que demandons-nous à la chanson ? Qu’attendons-nous d’elle ? Qu’elle conforte notre aptitude à la communion, à la sédition, au compromis, à la solidarité, à l’utopie ? En posant la question en ces termes binaires « Chanson pour » / « Chanson contre », nous voudrions éviter de définir par parti pris une place plus légitime et plus enviable, un mode de création, de diffusion et de réception plus fécond que l’autre.

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